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Vacciner en massant la peau.

Un vaccin sans aiguille : et si l'on pouvait vacciner en massant la peau ?

Et si la simple application d’un vaccin sur la peau suffisait à stimuler une réponse immunitaire robuste ? Cette stratégie pourrait offrir une méthode indolore et simple pour la vaccination. C'est en tout cas ce que suggèrent de récents travaux de recherche. Peut-on imaginer un futur où la vaccination se ferait par massage sur la peau ? Faisons le point sur cette découverte et ses applications concrètes.

Publié le 25 novembre 2025, mis à jour le 25 novembre 2025, par Pauline, Ingénieure chimiste — 14 min de lecture

L'essentiel à retenir.

  • La vaccination sans aiguille permettrait de pallier la peur des piqûres et la méfiance liée aux adjuvants injectés, comme l’aluminium.

  • Une étude récente a montré que l’étirement mécanique de la peau, similaire à un massage, ouvre transitoirement les follicules pileux, permettant la pénétration de macromolécules et d’antigènes.

  • Aidée par le microbiote cutané, cette ouverture favorise l’activation des cellules dendritiques, qui captent les antigènes et migrent vers les ganglions lymphatiques pour déclencher une réponse immunitaire.

  • Chez la souris, l’administration topique d’un vaccin H1N1 combiné à un adjuvant a entraîné une réponse IgG plus forte qu’une injection intramusculaire classique.

  • Davantage de travaux sont encore nécessaires et plusieurs limites persistent : compatibilité avec d'autres types de vaccins, différences entre la peau humaine et murine, contrôle de la quantité d'antigène administrée...

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Pourquoi proposer un vaccin sans aiguille ?

La perspective de vacciner sans utiliser d'aiguille répond d’abord à un frein bien documenté : la peur des injections.

20 - 50%

des adolescents ont peur des aiguilles (d'après une revue de 2018 qui a pris en compte 119 articles).

16%

des adultes refusent de se faire vacciner contre la grippe car ils ont peur des aiguilles (d'après une revue de 2018 qui a pris en compte 119 articles).

Chez certaines personnes, cette anxiété suffit à retarder ou à éviter une vaccination pourtant recommandée. Or, ce phénomène n’est pas anecdotique : il réduit l’adhésion vaccinale, crée des disparités d’accès et complique les campagnes à large échelle, notamment chez les enfants, les personnes hypersensibles et les adultes anxieux face aux soins médicaux. Une technologie de vaccination sans aiguille pourrait donc lever un obstacle psychologique majeur, en transformant un acte anxiogène en un geste simple et indolore.

L’intérêt d’un vaccin sans injection s’inscrit également dans un contexte où les sels d'aluminium, fréquemment utilisés comme adjuvants, continuent d’alimenter des débats. En effet, l'hydroxyde d’aluminium et le phosphate d’aluminium sont utilisés depuis plus de 90 ans pour optimiser la réponse immunitaire. Ils permettent de retenir les antigènes au point d’injection et d'attirer localement les cellules immunitaires, en prolongeant la stimulation antigénique. Cependant, beaucoup craignent que l'aluminium ne s'accumule dans l'organisme et provoque des allergies, ou ne soit toxique pour le cerveau.

Pourtant, l'efficacité et la sécurité de l'aluminium dans les vaccins ont été examinées dans plusieurs dizaines de publications, qui ont conclu qu'il provoque essentiellement des réactions locales transitoires : douleur, rougeur, gonflement, parfois un petit nodule. Aucun lien solide n’a été établi avec des effets durables, des maladies auto-immunes ou un risque accru d’allergies selon les données disponibles. L’aluminium présent dans les vaccins est éliminé selon les mêmes voies que celui contenu dans l’alimentation, où l’exposition quotidienne est largement supérieure : un adulte ingère 7 à 9 mg par jour, alors qu’une dose vaccinale en contient entre 0,125 et 0,85 mg. Les nourrissons en reçoivent environ 4,5 mg via leur calendrier vaccinal, contre 7 à 117 mg via leur alimentation selon qu’ils soient allaités, nourris au lait en poudre ou au lait de soja. Malgré ce consensus, le doute persiste chez une partie de la population et alimente la méfiance envers les vaccins.

Ainsi, l’idée d’un vaccin administré par massage et sans aiguille pourrait réduire deux obstacles : la peur et la douleur liées à la piqûre, et la perception de risque associée aux adjuvants injectés, comme l'aluminium.

Vaccin par massage : comment cela fonctionne-t-il ?

Des travaux de recherche menés récemment par l'équipe d'Élodie SEGURA ont mis en évidence la possibilité de vacciner en massant la peau, en montrant que des stimuli mécaniques avaient un impact sur l’immunité. Les chercheurs ont utilisé un dispositif capable d’appliquer sur la peau un étirement contrôlé, équivalent à celui d’un massage thérapeutique ou à l’application vigoureuse d’une crème. Pendant vingt minutes, la peau de souris et de volontaires humains a été soumise à cette contrainte mécanique sans provoquer de lésion visible. Les observations ont montré que cet étirement modifiait immédiatement l’activité des cellules de l’épiderme, en particulier des kératinocytes, qui réagissent aux variations mécaniques en libérant des cytokines pro-inflammatoires, telles que le TNF-α, et des neutrophiles et des monocytes, des cellules immunitaires. Cette réponse traduit le fait que la peau interprète le massage non comme une simple stimulation physique, mais comme un signal potentiel de danger susceptible de mobiliser l’immunité locale.

Réponse immunitaire dans une peau étirée ("stretching") ou non ("control").

Réponse immunitaire dans une peau étirée ("stretching") ou non ("control").

Source : SEGURA E. & al. Transient skin stretching stimulates immune surveillance and promotes vaccine delivery via hair follicles. Cell Reports (2025).

C’est toutefois l’effet du massage sur la micro-architecture cutanée qui constitue la découverte la plus remarquable de l’étude. Les chercheurs ont constaté que l’étirement provoque une ouverture transitoire des follicules pileux, mesurée à la fois par imagerie et par la capacité de macromolécules fluorescentes à pénétrer dans la peau (ici le dextrane, un polymère de glucose). Dans des conditions normales, les follicules sont des structures relativement fermées, limitant l’entrée des composés volumineux. Cependant, sous l’effet du massage, leur ouverture augmente suffisamment pour permettre à des molécules de grande taille, bien plus volumineuses que celles qui traversent habituellement la barrière cutanée (< 500 Da) de pénétrer dans le canal folliculaire. La peau humaine, tout comme celle de la souris, devient alors temporairement perméable à des antigènes déposés en surface. À noter que cette perméabilité accrue est temporaire, les chercheurs ayant observé que la peau de souris et la peau humaine retrouvaient leur structure initiale après plusieurs dizaines de minutes.

Pénétration des macromolécules dans la peau étirée ("stretching") ou non ("control").

Pénétration des macromolécules dans la peau étirée ("stretching") ou non ("control").

Source : SEGURA E. & al. Transient skin stretching stimulates immune surveillance and promotes vaccine delivery via hair follicles. Cell Reports (2025).

L’étude a également révélé que cette ouverture folliculaire ne permet pas seulement le passage d’antigènes exogènes : elle facilite aussi la pénétration de composés dérivés du microbiote cutané, activant ainsi les cellules dendritiques du derme. Cette idée était appuyée par l’augmentation de gènes liés à leur maturation induite par des agents pathogènes, comme Cd86, Cxcl9, Cxcl10, et Myd88. Dans des souris axéniques, c'est-à-dire sans microbiote, l’étirement augmentait bien l’infiltration des neutrophiles, montrant que cette réponse ne dépend pas du microbiote. En revanche, l’étirement ne recrutait ni monocytes ni macrophages dérivés de monocytes, et n’accélérait pas la migration des cellules dendritiques vers les ganglions lymphatiques. Chez des souris normales mais dépourvues de follicules pileux, l’étirement déclenchait cette fois l’infiltration de neutrophiles, de monocytes et de macrophages, mais sans augmenter la migration des cellules dendritiques.

Ces résultats montrent que l’étirement suffit à attirer les neutrophiles et les monocytes, mais que l’activation complète des cellules dendritiques, et notamment leur migration vers les ganglions, nécessite la pénétration, via les follicules pileux, de molécules dérivées du microbiote.

La vaccination par massage peut-elle rivaliser avec l'injection classique ?

Vacciner par massage ou par injection ne fait appel aux mêmes mécanismes. L’injection intramusculaire introduit l’antigène dans un tissu peu peuplé en cellules immunitaires, ce qui explique pourquoi les vaccins injectés doivent souvent être associés à des adjuvants, comme les sels d’aluminium, pour attirer et activer les cellules dendritiques locales. La réponse immunitaire naît alors ainsi : l’injection provoque une micro-lésion, l’adjuvant crée un foyer inflammatoire, et l’ensemble génère un signal suffisant pour déclencher la maturation des cellules dendritiques et leur migration vers les ganglions lymphatiques.

Il en va différemment pour la vaccination par massage. La peau est naturellement riche en cellules dendritiques et en lymphocytes, ce qui facilite la réponse immunitaire. Lorsque l'antigène est déposé sur la peau puis "poussé" dans les follicules par massage, les cellules dendritiques folliculaires peuvent immédiatement capter et traiter l’antigène. Contrairement au muscle, la peau n’a pas besoin d’être "réveillée" par un adjuvant, car le stress mécanique et la pénétration de fragments microbiens jouent le rôle de signaux d’activation de l'immunité.

Les chercheurs ont ensuite vérifié que l’ouverture transitoire des follicules pileux et la migration des cellules dendritiques induites par l’étirement cutané pouvaient être exploitées pour administrer un vaccin chez la souris. Pour cela, ils ont combiné un antigène H1N1 (vaccin contre la grippe) avec un adjuvant QS-21 encapsulé dans des nanoliposomes, puis ont utilisé un traceur fluorescent pour montrer qu’un unique étirement de la peau permettait une pénétration efficace et non invasive du vaccin dans l’épiderme et le derme.

Les nanoliposomes pénétraient dans la peau, puis libéraient progressivement leur contenu dans la circulation sanguine. L’antigène HA atteignait également les ganglions lymphatiques drainants, signe d’un transport actif par les cellules dendritiques dermiques. Les chercheurs ont ensuite comparé l’administration par étirement cutané à une injection intramusculaire contenant la même dose d’antigène. Ils ont observé que la méthode par étirement entraînait une accumulation plus importante d’antigène dans les ganglions et une réponse IgG anti-HA plus élevée.

Ces résultats suggèrent que le massage permet une vaccination efficace, sans aiguille et non-invasive chez la souris.

Libération progressive du vaccin contre le grippe administré par voie topique (ST) aux différents organes chez la souris et comparaison avec un vaccin injecté par voie intramusculaire (IM inj).

Libération progressive du vaccin contre le grippe administré par voie topique (ST) aux différents organes chez la souris et comparaison avec un vaccin injecté par voie intramusculaire (IM inj).

Source : SEGURA E. & al. Transient skin stretching stimulates immune surveillance and promotes vaccine delivery via hair follicles. Cell Reports (2025).

Quelles sont les limites et les perspectives d'une telle découverte ?

Bien que cette étude apporte des preuves intéressantes montrant que l'étirement de la peau peut favoriser la pénétration de macromolécules et activer certaines cellules immunitaires grâce à l’ouverture transitoire des follicules pileux, plusieurs questions restent sans réponse.

On peut tout d'abord s'interroger concernant la tolérance de cette procédure chez les peaux sensibles, qui pourraient mal réagir à 20 minutes de massage vigoureux. De plus, on peut se demander si une alternative mécanique telle que le microneedling – permettant une perturbation contrôlée de la barrière cutanée sans 20 minutes de massage – ne représenterait pas une stratégie plus simple à mettre en place.

De plus, les analyses transcriptomiques réalisées n’ont pas permis d’identifier précisément quelles populations cellulaires réagissent à cette stimulation : on ignore encore si ce sont les kératinocytes, les fibroblastes dermiques ou d’autres cellules stromales qui détectent l’étirement, ni quels mécanorécepteurs sont impliqués. Le rôle exact du microbiote cutané dans cette réponse reste également à clarifier, notamment les molécules d’origine microbienne capables de déclencher l’inflammation et d’activer les cellules immunitaires. Cette question est d’autant plus importante que le microbiote varie fortement d’un individu à l’autre, et que les personnes atteintes de maladies de peau (dermatite atopique, psoriasis, rosacée…) présentent souvent une dysbiose qui pourrait modifier la réponse immunitaire induite par le massage.

De plus, les chercheurs ont observé un afflux rapide de cellules immunitaires innées dans les 24 heures suivant l’étirement, mais leur devenir et leur participation à l’activation des cellules dendritiques n’ont pas été suivis dans le temps. Cette absence de suivi immunitaire à long terme ne permet donc pas d’évaluer la persistance de la protection ni d’identifier d’éventuels effets indésirables tardifs.

Les implications toxicologiques mises en lumière par l’étude représentent aussi un enjeu majeur. La démonstration que le massage ouvre transitoirement les follicules et augmente la pénétration de macro-molécules signifie que cette voie pourrait également faciliter l’entrée de substances indésirables, comme les polluants atmosphériques ou des allergènes. Si cette technique était mal effectuée, elle pourrait déclencher des réponses immunitaires non souhaitées. Par ailleurs, il reste à déterminer si cette voie d’administration induirait ou non des effets secondaires systémiques similaires à ceux parfois observés après une vaccination classique, comme de la fièvre ou des courbatures.

De plus, on peut s'interroger sur les types de vaccins compatibles avec cette approche. Dans l’étude, l’exemple utilisé était un vaccin à virus inactivé (H1N1), dont les particules virales peuvent pénétrer dans la peau via les follicules pileux ouverts et être captées par les cellules immunitaires locales. En revanche, il n’est pas certain que cette méthode soit adaptée aux vaccins vivants atténués, dont les particules virales pourraient être inefficaces si l’environnement cutané ne permet pas leur réplication. De même, les vaccins à ARN messager, très sensibles aux conditions de stabilité et nécessitant une délivrance intracellulaire précise, pourraient ne pas être compatibles avec une application topique.

Par ailleurs, la question de la dose d’antigène absorbée constitue un autre point de vigilance. L’étude montre que, chez la souris, le massage permet d’obtenir une réponse immunitaire qualitative après application d’un vaccin contre le H1N1. Mais la quantité exacte d’antigène réellement captée par les cellules dendritiques cutanées n’a pas été précisément mesurée, et l’efficacité d’un vaccin dépend souvent de seuils quantitatifs stricts. En effet, une dose insuffisante pourrait engendrer une réponse faible ou hétérogène. Cette limite est d’autant plus importante que l’étude ne mesure pas l’intensité fonctionnelle de la réponse (anticorps, neutralisation virale, immunité mémoire...).

Enfin, si l’étude confirme que l’étirement augmente la pénétration de macromolécules dans la peau humaine, d’autres volets expérimentaux réalisés chez la souris ne peuvent pas être reproduits tels quels chez l’humain. Compte tenu des différences importantes entre la peau humaine et murine, de nouvelles recherches seront nécessaires pour vérifier si l’activation immunitaire induite par l’étirement et son potentiel de vaccination peuvent réellement être transposés chez l’Homme.

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