Naturellement présents dans la couche cornée, les céramides sont des lipides qui jouent un rôle essentiel dans la fonction barrière de la peau. En effet, ce sont eux qui assurent la cohésion entre les kératinocytes, limitant ainsi les pertes d'eau transépidermiques. Composés d’une base sphingoïde et d’un acide gras, les céramides représentent environ 50% des lipides de l’épiderme et participent activement à la structuration des lipides intercellulaires, sous forme de feuillets lamellaires. Un déficit en céramides, qu’il soit génétique ou acquis, altère la fonction barrière et augmente la perméabilité cutanée, favorisant ainsi la pénétration d'allergènes et d'irritants et l’inflammation de la peau. Ce déséquilibre est souvent observé dans la dermatite atopique.
Certaines anomalies dans la composition lipidique de la peau, détectables dès les premières semaines de vie, pourraient prédire le risque futur de développer une dermatite atopique.
C'est en tout cas la conclusion de l'étude réalisée par LOWE A. J. et son équipe avec 133 nourrissons ayant des antécédents familiaux d'allergies. À l’âge de six semaines, des bandes adhésives spécifiques ont été utilisées pour prélever des cellules superficielles de la peau de l'avant-bras des bébés. Cette technique est non-invasive et non-douloureuse pour les enfants. Les échantillons ont ensuite été analysés par spectrométrie de masse pour établir une cartographie précise des lipides présents, en particulier des céramides. Plus de 700 molécules lipidiques ont été quantifiées. À l'âge d'un an, la prévalence de l'eczéma était de 32% (43 enfants sur 133).
Chez les nourrissons atteints ultérieurement de dermatite atopique, l’analyse statistique des lipides prélevés a révélé une diminution significative d'un sous-groupe de céramides appelés "protein-bound ω-hydroxy ceramides" (POS). Ces POS, en particulier les Cer-EOS (esterified ω-hydroxyacyl-sphingosine) à longue chaîne (C30:0, C32:0, C34:0), sont des lipides structuraux qui s’ancrent à la couche cornée par l’intermédiaire de l’acide glutamique, des protéines de cette même couche. Ils jouent un rôle fondamental dans l'étanchéité et la résilience mécanique de la peau. Au total, les chercheurs ont observé que la peau des nourrissons ultérieurement atteints de dermatite atopique comptait 23,2% de moins de POS que la peau de ceux sans eczéma à un an. Parmi les POS les plus discriminants, le PO30:0-C20S et le PO32:0-C20S présentaient des concentrations significativement plus basses, respectivement de 30,7% et de 36,4%.
Ces résultats sont d’autant plus remarquables qu'à six semaines, aucun des nourrissons n'avait encore manifesté de signes visibles d'eczéma, laissant penser que ces POS pourraient constituer des biomarqueurs prédictifs.
Notons aussi que cette étude présente plusieurs atouts méthodologiques majeurs qui renforcent la crédibilité de ses résultats. Tout d’abord, sa conception permet de situer temporellement les événements : les échantillons lipidiques ont été prélevés avant l’apparition des premiers symptômes de dermatite atopique, ce qui permet de distinguer cause et conséquence. De plus, l'analyse des lipides a été réalisée en aveugle à l'aide d'une méthode standardisée. Toutefois, plusieurs limites, évoquées par les auteurs eux-mêmes, doivent être soulignées. L'appareil de spectrométrie utilisé ne permet pas d'analyser tous les lipides de la peau, laissant de côté certaines molécules potentiellement pertinentes. Par ailleurs, les prélèvements ont été faits uniquement sur la face interne de l’avant-bras, ce qui pourrait ne pas refléter les profils lipidiques des autres régions du corps, comme le cuir chevelu, pouvant lui aussi présenter des plaques d'eczéma. Enfin, 133 nourrissons représentent une cohorte de petite taille, ce qui réduit la puissance statistique et accroît la marge d'erreur. En outre, toutes les familles incluses présentaient des antécédents allergiques, ce qui limite la généralisation des résultats.
Des études complémentaires seraient donc utiles pour consolider ces observations. Un séquençage ARN des échantillons permettrait par exemple d’identifier les voies génétiques et les gènes modulés en amont de l’apparition clinique de l’eczéma. Ces données pourraient aider à mieux comprendre les mécanismes précoces de la maladie, voire ouvrir la voie à des approches prédictives pendant la grossesse, en lien avec les tests génétiques déjà parfois réalisés pour rechercher certaines mutations. Par ailleurs, un suivi prolongé au-delà de la première année de vie, par exemple à deux ou trois ans, permettrait d’intégrer les cas d’eczéma à déclaration plus tardive, qui peuvent ne pas être détectés à 12 mois.