La production de collagène, protéine essentielle à la souplesse et à la fermeté de la peau, a longtemps été considérée comme principalement liée à l'activité des fibroblastes. Cependant, une étude récemment publiée dans Nature Communications suggère que les kératinocytes pourraient jouer un rôle majeur dans la synthèse du collagène. Dès lors, la question suivante se pose : les cosmétiques pro-collagène devraient-ils plutôt cibler les kératinocytes ? Explorons ensemble cette question.

Synthèse de collagène : les cosmétiques devraient-ils cibler les kératinocytes plutôt que les fibroblastes ?
- Collagène, fibroblastes, kératinocytes : de quoi parle-t-on ?
- Les kératinocytes pourraient-ils eux aussi synthétiser du collagène ?
- Pourquoi cette découverte intéresse-t-elle l'industrie cosmétique ?
- Sources
Collagène, fibroblastes, kératinocytes : de quoi parle-t-on ?
Très présent dans l'univers de la cosmétique, le collagène incarne la promesse d'une peau ferme, rebondie et résistante au passage du temps. Néanmoins, avant d'être l'un des actifs les plus utilisés pour formuler des soins, le collagène est avant tout la protéine fibreuse structurelle la plus abondante du derme. Il forme un maillage dense, véritable charpente de la peau, qui lui confère à la fois sa résistance mécanique et sa souplesse. Parmi les nombreuses formes de collagène présentes dans l’organisme, les types I et III sont les plus représentés dans la peau. Plus précisément, une peau jeune est composée d'environ 80% de collagène de type I et d'approximativement 15% de collagène de type III. Avec l'âge, la capacité de renouvellement du collagène diminue naturellement et les fibres deviennent plus épaisses et plus courtes, ce qui altère leur fonction.
≈ 1,5%
de collagène naturellement perdu par an à partir de 25 ans.
La synthèse du collagène repose sur des cellules spécialisées du derme : les fibroblastes. Ces derniers produisent non seulement du collagène, mais aussi d’autres composants de la matrice extracellulaire, comme l’élastine et les glycosaminoglycanes, dont l’acide hyaluronique, contribuant ainsi à l’architecture et à l’hydratation de la peau. Plus près de la surface de la peau, dans l'épiderme, se trouvent les kératinocytes. Parfois comparés à des briques, les kératinocytes assurent le renouvellement de l'épiderme et contribuent à sa fonction barrière. Ils sont également en interaction avec les cellules immunitaires, les terminaisons nerveuses et les fibroblastes eux-mêmes. En effet, l'épiderme et le derme ne fonctionnent pas comme des vases clos mais communiquent via des médiateurs biochimiques (cytokines, neuropeptides...) qui modulent leurs activités respectives.

Les kératinocytes pourraient-ils eux aussi synthétiser du collagène ?
C'est en tout cas ce que suggère une étude récemment menée par SATOH A. et son équipe. Les chercheurs se sont penchés sur la synthèse de collagène chez les axolotls, des amphibiens dont la peau est transparente et possède d'importantes capacités régénératives. Ils ont utilisé plusieurs techniques d’imagerie sur des axolotls de différentes tailles (de 5 à 12 cm) pour suivre la formation du derme au fil de la croissance, notamment des sondes fluorescentes spécifiques du collagène (DAR et DAF). Ces deux sondes se distinguent par leur structure et leur affinité : le DAR est une petite molécule peptidique capable de reconnaître les hélices α partiellement dépliées du collagène, ce qui en fait une excellente sonde pour marquer le procollagène, la forme immature encore en cours d’assemblage. À l’inverse, le DAF est un colorant activé par affinité structurale qui cible préférentiellement les fibres matures, déjà organisées en triple hélice stable. En injectant d’abord un marqueur rouge (DAR) puis un second marqueur vert (DAF) quelques jours plus tard, les chercheurs ont pu distinguer les anciennes fibres de collagène des nouvelles, tout en identifiant leur degré de maturité. Cette technique est appelée pulse-chase et permet de voir où et quand le collagène est produit.
De façon surprenante, les chercheurs ont observé que le collagène de la peau des jeunes axolotls de 5 cm était déjà bien organisé en fibres structurées en treillis, et ce, en l'absence fibroblastes. En analysant l’expression du gène Col1a1, qui code pour le collagène de type I, ils ont détecté un signal intense dans les kératinocytes de la couche basale de l’épiderme, celle en contact direct avec le derme. La présence de procollagène, une forme immature de collagène, a aussi été décelée à cet endroit à l'aide de l'immunofluorescence. Enfin, la microscopie électronique a confirmé que ces kératinocytes contenaient bien du procollagène prêt à être sécrété à travers la membrane basale. Au fil de la croissance de l’axolotl, les chercheurs ont observé à l'aide de colorations histologiques, notamment du trichrome de Masson, une méthode populaire pour mettre en évidence les fibres de collagène, que le derme se transforme et se complexifie. D’un simple feuillet initial, il devient une structure en trois couches bien organisées :
Stratum baladachinum (SB) : couche située juste sous l’épiderme, peu dense et synthétisée par les kératinocytes.
Stratum spongiosum (SS) : couche intermédiaire, où commencent à apparaître des cellules issues du mésoderme, notamment les fibroblastes.
Stratum compactum (SC) : couche profonde, dense et régulière, avec un réseau de fibres orthogonales très structuré.
Ce n’est qu’à partir de 8 cm que les scientifiques ont détecté l’arrivée des cellules mésenchymateuses, c'est-à-dire des fibroblastes. Ces cellules pénètrent dans la matrice de collagène existante grâce à certaines métalloprotéinases matricielles (MMPs), des enzymes capables de digérer localement le collagène pour permettre l’invasion cellulaire. Une fois installés dans le derme, les fibroblastes déploient des filopodes, des prolongements qui s’insèrent entre les fibres de collagène existantes. Grâce à ces structures, ils modifient, épaississent et réorganisent le réseau initial formé par les kératinocytes. L'utilisation de la microscopie électronique a permis de suivre l’évolution des fibres de collagène au fil de la croissance des axolotls. À 5 cm, les fibres sont fines et isolées, tandis qu’à 12 cm, elles sont nettement plus épaisses et entrelacées, notamment dans le stratum compactum. Ce changement témoigne du travail des fibroblastes sur la matrice produite initialement par les kératinocytes. La figure ci-dessous résume l'évolution structurelle subie par le collagène.

Afin de savoir si ce phénomène était propre à l’axolotl ou partagé par d’autres espèces, les chercheurs ont répété leurs analyses sur des poissons zèbres, des embryons de poussins ainsi que des embryons de souris. Dans chaque cas, ils ont observé l’expression du gène Col1a2, codant pour une autre forme de collagène de type I, dans les kératinocytes, au-dessus de la membrane basale, suggérant que ce mécanisme de production de collagène par l’épiderme est conservé dans l’évolution, au moins pendant le développement embryonnaire.
Les auteurs restent néanmoins prudents sur leurs travaux. En effet, même si l’axolotl offre une bonne visualisation de la peau en développement, il reste un amphibien, avec des particularités qui le différencient de la peau humaine. Sa peau est plus fine, dépourvue de poils, de glandes sébacées et de couche cornée épaisse, contrairement à la peau humaine. Ces différences structurelles et fonctionnelles limitent l’extrapolation directe des résultats. Il serait ainsi intéressant que des études complémentaires soient menées sur des cultures de kératinocytes humains pour tester leur capacité à produire du collagène dans certaines conditions (stress oxydatif, cicatrisation...). De plus, les mécanismes permettant d'expliquer le déclenchement de la production de collagène et la façon dont ces fibres traversent la membrane basale sont encore inconnus.
Par ailleurs, l’étude repose principalement sur des modèles jeunes ou embryonnaires. Il n’est pas encore établi que les kératinocytes adultes, a fortiori chez l’humain, conservent cette capacité à produire du collagène. Il est donc possible que cette fonction soit transitoire, propre à certaines phases du développement ou de régénération tissulaire. Si cela se confirme, les futures stratégies cosmétiques pourraient alors viser prioritairement les peaux jeunes, pour retarder au maximum la perte naturelle de collagène liée à l’âge.
Cette étude propose une nouvelle vision plus dynamique de la formation de collagène, où les kératinocytes initient sa structure et où les fibroblastes la sculptent.
Pourquoi cette découverte intéresse-t-elle l'industrie cosmétique ?
L’idée selon laquelle l’épiderme peut contribuer activement à la formation du collagène du derme n'est pas sans conséquences pour l'industrie cosmétique. Jusqu'à maintenant, les produits visant à renforcer la synthèse de collagène par la peau cherchent à cibler les fibroblastes et à stimuler leur activité. Toutefois, s'il s'avère que les kératinocytes peuvent initier la production de collagène, alors l’épiderme devient une cible de choix, potentiellement plus facilement accessible.
De plus, il est intéressant de savoir que l'axolotl est capable de régénérer sa peau sans laisser de cicatrices, un processus que les chercheurs ont souvent comparé au développement embryonnaire. Cette étude montre que la production kératinocytaire de collagène précède l’arrivée des fibroblastes et que cette chronologie semble nécessaire à une organisation ordonnée de la matrice extracellulaire. Appliqué à la médecine humaine, cela suggère que stimuler la production précoce de collagène par les kératinocytes pourrait favoriser une cicatrisation plus nette et qui ne laisserait pas de marques.
Cette découverte ouvre la voie à une réévaluation des cibles cosmétiques traditionnelles. Toutefois, des études supplémentaires sur la peau humaine sont nécessaires pour confirmer ces résultats et en comprendre les implications concrètes.
Sources
SIBILLA S. & al. An Overview of the Beneficial Effects of Hydrolysed Collagen as a Nutraceutical on Skin Properties: Scientific Background and Clinical Studies. The Open Nutraceuticals Journal (2015).
GENOVESE L. & al. An Overview of the Beneficial Effects of Hydrolysed Collagen as a Nutraceutical on Skin Properties: Scientific Background and Clinical Studies. The Open Nutraceuticals Journal (2015).
SATOH A. & al. Keratinocyte-driven dermal collagen formation in the axolotl skin. Nature Communications (2025).
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