Malgré les avancées en oncologie, certains cancers résistent encore à tout : chimiothérapie, radiothérapie, immunothérapie... Une impasse que la recherche scientifique ne cesse de s'efforcer de contourner. Une nouvelle découverte fait aujourd'hui parler d'elle : une molécule qui déclenche une mort cellulaire atypique, la ferroptose, en exploitant une dépendance insoupçonnée des cellules cancéreuses au fer. Quelle est cette nouvelle stratégie de traitement et comment pourrait-elle être mise en application ? Explorons ensemble ces questions.

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- Cancer : une nouvelle molécule pour lutter contre les métastases.
Cancer : une nouvelle molécule pour lutter contre les métastases.
- Pourquoi certains cancers résistent-ils encore aux traitements ?
- Comment cibler les cancers réfractaires et les métastases ?
- Cette découverte pourrait-elle avoir un intérêt dermatologique ?
- Sources
355 pour 100 000 hommes.
Il s'agit du taux d'incidence mondial du cancer estimé en 2023.
274 pour 100 000 femmes.
Il s'agit du taux d'incidence mondial du cancer estimé en 2023.
Pourquoi certains cancers résistent-ils encore aux traitements ?
Malgré les avancées significatives en cancérologie, certains cancers demeurent particulièrement difficiles à contrôler. Il s'agit notamment des cancers secondaires, également appelés métastases. Ils surviennent lorsque des cellules cancéreuses quittent leur site d’origine pour coloniser d’autres tissus. Ces cellules métastatiques représentent aujourd’hui la principale cause de décès par cancer. Leur plasticité biologique, leur capacité à échapper au système immunitaire et leur adaptabilité à des environnements étrangers les rendent particulièrement résistantes aux traitements.
À cela s'ajoutent les tumeurs réfractaires, c’est-à-dire les cancers qui ne répondent pas ou plus aux traitements standards, tels que la chimiothérapie, la radiothérapie ou l’immunothérapie. Ce phénomène concerne différents types de tumeurs, dont les glioblastomes, les cancers du pancréas, les cancers du sein, certains sarcomes, ou encore des formes avancées de mélanome ou de cancer du foie. La résistance peut être présente dès le départ – on parle alors de résistance primaire – ou survenir après plusieurs lignes de traitement – il s'agit alors d'une résistance acquise.
Un point commun entre ces formes particulières de cancers est leur capacité à échapper à l'apoptose, un processus de mort cellulaire, et à contourner l’arrêt de croissance induit par la sénescence. Par ailleurs, ces cellules réfractaires et métastatiques modifient leur métabolisme. Elles utilisent davantage de glucose (effet Warburg) et présentent une dépendance accrue au fer, un élément essentiel à leur prolifération. Cette dépendance ouvre aujourd’hui la voie à une approche thérapeutique innovante, la ferroptose, sur laquelle repose la découverte récente de chercheurs de l'Institut Curie.
La ferroptose est une forme de mort cellulaire programmée, dépendante du fer et caractérisée par l’oxydation des lipides de la membrane plasmique.
Comment cibler les cancers réfractaires et les métastases ?
Aujourd'hui, une part importante de cancers demeure réfractaire aux traitements conventionnels. Chimiothérapies, radiothérapies et thérapies ciblées permettent souvent de réduire les tumeurs primaires, mais échouent à éliminer les cellules tumorales persistantes. Ces cellules résiduelles sont responsables des récidives et du développement de métastases, qui constituent aujourd’hui la principale cause de mortalité par cancer. Or, les recherches menées par l'équipe de Raphaël RODRIGUEZ à l'Institut Curie, en collaboration avec le CNRS et l'Inserm, ont mis en lumière une caractéristique commune aux cellules cancéreuses les plus agressives : une dépendance accrue au fer, représentant une faiblesse potentielle. En effet, le fer catalyse la production de radicaux libres qui peuvent endommager les membranes des cellules, conduisant à un type spécifique de mort cellulaire appelée ferroptose. L'équipe de chercheurs a découvert que cette réaction est initiée dans les lysosomes, des organites intracellulaires responsables de la dégradation des composants cellulaires.
Pour exploiter cette vulnérabilité, les scientifiques ont conçu une nouvelle classe de petites molécules, appelées "dégradeurs de phospholipides". Ces composés sont structurés pour cibler la membrane plasmique des cellules cancéreuses, s'accumuler dans les lysosomes via l'endocytose, un terme désignant le mécanisme de transport de molécules vers l'intérieur de la cellule, et activer le fer présent dans ces compartiments. Cette activation déclenche une cascade de réactions oxydatives qui endommagent les membranes cellulaires, provoquant ainsi la ferroptose. Plus précisément, le fer réagit avec le peroxyde d'hydrogène pour générer des radicaux libres oxygénés. Ces derniers attaquent les phospholipides membranaires, ce qui conduit à la mort de la cellule si celle-ci ne parvient pas à restaurer l'intégrité de sa membrane.

Parmi les dégradeurs de phospholipides, la fentomycine (Fento-1) a été développée avec une propriété fluorescente, permettant aux chercheurs de suivre sa localisation dans les cellules par microscopie de fluorescence. La fluorescence est une technique souvent utilisée en biologie pour vérifier que les molécules atteignent leur cible. Les expériences ont été réalisées sur des lignées cellulaires humaines de cancers du sein métastatiques. Après incubation avec Fento-1, les cellules ont été fixées puis marquées à l’aide d’un colorant spécifique des lysosomes, le LysoTracker, pour permettre la colocalisation des signaux. Les images obtenues ont montré une superposition quasi complète entre le signal de Fento-1 et celui des lysosomes, confirmant une accumulation préférentielle de la molécule dans ces organites.
Les premiers tests réalisés avec la molécule Fento-1 ont été menés à la fois in vitro sur des cellules humaines et in vivo dans des modèles murins de cancer. In vitro, Fento-1 a montré une activité cytotoxique sélective sur des cellules tumorales humaines, en particulier sur des biopsies de cancers du pancréas et de sarcomes issus de patients. Plus précisément, les cellules tumorales ont été exposées à Fento-1 à différentes concentrations (1 µM à 20 µM) pendant 24 heures et un contrôle négatif sans Fento-1 a été réalisé. Après 16h d'incubation, la viabilité cellulaire n'était plus que de 20%, et, après 24h, elle était proche de 0%. L'expérience a aussi été faite avec des cellules saines, qui n'ont pas été attaquées par Fento-1. L’équipe a observé une destruction lysosomale sélective et progressive, menant à la mort des cellules tumorales. Ces effets sont liés à l’induction d’une peroxydation lipidique intense et à l’accumulation de fer intracellulaire et sont cohérents avec un mécanisme de ferroptose lysosomale.
Dans un modèle murin de cancer du sein métastatique, l’administration intralymphatique de 0,003 mg de Fento-1 un jour sur deux a permis de ralentir significativement la croissance tumorale. Après dix jours, le volume tumoral était d'environ 0,2 cm3 chez les souris traitées, contre 0,7 cm3 chez les autres, soit près de 70% plus faible. Néanmoins, les souris ayant été euthanasiées peu de temps après, il est difficile de tirer des conclusions sur le long terme, notamment en ce qui concerne la potentielle récidive de la tumeur.
Les auteurs soulignent que ces résultats, bien que prometteurs, restent limités au stade préclinique. Aucune donnée de toxicité ou de pharmacocinétique chez l’Homme n’est encore disponible et des essais cliniques seront nécessaires pour évaluer l’efficacité réelle et la tolérance de ces dégradeurs de phospholipides.
Cette découverte pourrait-elle avoir un intérêt dermatologique ?
Si les travaux de l’équipe de Raphaël RODRIGUEZ se sont focalisés sur les cancers du sein, du pancréas et sur des sarcomes, les mécanismes biologiques ciblés, à savoir la dépendance au fer et la sensibilité à la ferroptose, pourraient également concerner certaines formes de cancers de la peau. En effet, en dermatologie oncologique, le mélanome malin métastatique reste l’un des cancers les plus graves. Malgré les avancées en immunothérapie et l'utilisation de thérapies ciblées, une partie des patients développe des formes réfractaires qui échappent aux mécanismes classiques de destruction cellulaire. Ces cellules cancéreuses pourraient, à l’image des cellules décrites dans l’étude, présenter une dépendance accrue au fer et être vulnérables à la ferroptose.
Par ailleurs, il arrive que la peau soit le siège de métastases cutanées, notamment dans le cadre de cancers du sein, du poumon, du côlon ou du pancréas. Ces métastases cutanées, souvent difficiles à éradiquer, partagent parfois des profils biologiques similaires avec les cellules mères. Les dégradeurs de phospholipides, comme Fento-1, pourraient potentiellement être capables de cibler ces lésions secondaires et d'apporter une solution aux patients atteints de cancers réfractaires de la peau, sous réserve de futures validations cliniques.
Sources
TEYSSIER C. & al. L’effet Warburg - De la théorie du cancer aux applications thérapeutiques en cancérologie. Medecine/Sciences (2013).
CONRAD M. & al. Ferroptosis: mechanisms, biology and role in disease. Nature (2021).
Institut National du Cancer. Données globales d’épidémiologie des cancers (2024).
RODRIGUEZ R. & al. Activation of lysosomal iron triggers ferroptosis in cancer. Nature (2025).
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